Extrait du livre « Un lotus s’épanouit » de Thich Nhat Hanh
Touchers de la Terre
L’arbre a ses racines, l’eau sa source. Nous, les humains, nous avons aussi nos racines et notre source. Ils sont nos ancêtres, notre famille, notre culture, notre pays, en quelques mots, tout ce qui nous est le plus familier et le plus cher. L’arbre est beau et luxuriant lorsqu’il est bien soutenu et nourri par ses racines nombreuses et fortes. Il en est de même pour nous. Nous sommes heureux et en bonne santé lorsque nous nous sentons soutenus et nourris par nos ancêtres, notre famille, notre pays. En revanche, si nous nous sentons coupés, déconnectés de nos racines, nous sommes perdus, seuls, et nous souffrons. Si nous souffrons, ce n’est pas parce que nous n’avons pas de racines. En réalité, elles sont toujours là. Mais peut-être les avons- nous coupées ou niées ?
La pratique de touchers de la Terre est une pratique de méditation qui nous aide à retourner à la terre, à retrouver nos racines et à reconnaître toutes leurs beautés que nous n’avions pas vues jusqu’à présent. Aussitôt que nous acceptons nos racines avec toutes leurs faiblesses aussi bien que leurs qualités, nous nous sentons de nouveau connectés à tout un courant d’ancêtres spirituels et génétiques. Nous n’avons pas besoin d’aller loin pour retrouver nos ancêtres. Ils sont encore vivants en nous. Il suffit de toucher la terre pour entrer en contact avec eux, pour sentir leurs énergies circuler en nous. Cette pratique nous rappelle également que nous sommes la Terre et faisons partie de la Vie. Nous ne sommes plus des enfants seuls et perdus, sans lieu de refuge. Au contraire, nous nous sentons bien enracinés, bien solides. La souffrance laisse ainsi la place à la paix et au bonheur.
Toucher la Terre signifie s’abaisser jusqu’à terre. Pour commencer, tenez-vous debout et joignez vos paumes de mains devant votre poitrine, formant un bouton de lotus. Puis, descendez doucement vers le sol de manière à ce que vos bras, vos jambes et votre front reposent confortablement par terre. Dans la position complètement à terre, avec les quatre membres et le front qui touchent la terre, détendez totalement votre corps et votre esprit pour visualiser et regarder profondément au fur et à mesure à l’écoute du texte. Inspirez toute la force et la stabilité de la Terre et expirez en relâchant toute votre souffrance. Si vous le voulez, vous pouvez mettre par terre un tissu bien propre. Votre visage sera en contact plus longtemps que d’habitude avec la terre et il se peut que vous préfériez ne pas être gêné par poussière que vous pouvez respirer.
Cette pratique peut transformer votre situation et contribuer à la construction de votre sangha. Au bout de trois mois, vous verrez un changement évident dans votre environnement.
Les Trois Touchers de la Terre
(Avant de toucher la Terre, le pratiquant ou la pratiquante récite silencieusement ou à voix haute les mots en caractères gras. Puis en touchant la terre, il ou elle peut contempler selon le texte suivant. En pratiquant en groupe, une personne peut lire le texte pendant que toutes les autres contemplent en touchant la terre.)
Premier Toucher de la Terre
Touchant la Terre, je me mets en contact avec mes ancêtres et descendants de mes deux familles, ma famille spirituelle et ma famille de sang.
(Un son de cloche et le pratiquant ou tout le groupe touche la terre.)
J’ai des ancêtres spirituels qui sont les nobles maîtres, les saints, les martyrs, les patriarches et les matriarches de tous les temps, ainsi que mes enseignants. Que v soyez encore vivants ou déjà décédés, vous êtes tous réellement présents en moi. Vous m’avez transmis les semences de paix, de sagesse, d’amour et de bonheur, Grâce à vous, mes maîtres spirituels, j’ai en moi un peu de paix, de vision profonde, de compassion et de bonheur. Parmi vous, certains ont mené leur pratique des préceptes, de la vision profonde et de la compassion à la perfection. Mais il en existe d’autres qui ont encore des lacunes dans ces pratiques. Néanmoins, je m’incline et je vous accepte tous comme mes ancêtres spirituels sans exception, car je vois en moi-même mes propres faiblesses et insuffisances dans ces pratiques. Vous
(trois respirations)
Conscient de ces faiblesses et de ces insuffisances, j’ouvre également mon cœur à vous, mes descendants, et vous accepte tous. Parmi vous, certains m’inspirent du respect et de l’admiration par leur pratique des préceptes, de la vision profonde et de la compassion. Mais d’autres se battent encore avec leurs nombreuses difficultés et traversent constamment des hauts et des bas sur leur chemin de pratique.
(trois respirations)
De la même manière, je vous accepte tous, les ancêtres de ma famille du côté de mon père ainsi que du côté de ma mère, avec toutes vos qualités, votre beauté, vos actions vertueuses, vos défauts et vos faiblesses. J’ouvre mon cœur pour vous accepter également, tous mes descendants, avec les talents, les qualités et les faiblesses qui sont en chacun de vous.
Que vous soyez mes ancêtres ou mes descendants, dans ma famille spirituelle ou ma famille génétique, vous êtes tous présents en moi. N’ayant pas un soi séparé, je suis vous et vous êtes moi. Nous faisons tous partie d’un seul courant de vie qui coule merveilleusement.
(Trois respirations, un son de cloche et le pratiquant ou tout le groupe se lève.)
Deuxième Toucher de la Terre
Touchant la Terre, je me mets en contact avec toutes les personnes et tous les êtres vivants qui sont là en ce moment avec moi, dans cette vie.
(Un son de cloche et le pratiquant ou tout le groupe touche la terre.)
Je vois que je suis la vie merveilleuse qui s’étend dans l’espace. Je suis étroitement lié à tout le monde et à toutes les espèces. Leur souffrance tout comme leur bonheur sont les miens. Je fais un avec la personne née handicapée, avec celle qui l’est devenue du fait de la guerre, d’un accident ou d’une maladie. Je suis la personne emprisonnée dans les situations de guerre, d’injustice ou d’oppression. Je suis cette personne qui n’a jamais eu la chance de goûter à la paix de l’âme ou au bonheur de la vie de famille. Déraciné, j’ai soif de compréhension et d’amour et suis en quête de beauté de vérité et de bonté pour avoir quelque chose en quoi croire et prendre refuge.
(trois respirations)
Je suis cette personne mourante, effrayée de ne pas savoir ce qu’elle deviendra. Je suis l’enfant qui vit dans la pauvreté et les maladies, dont les membres sont aussi maigres que des allumettes, et qui est sans avenir. Je suis aussi celui qui fabrique des armes et des bombes pour les vendre aux pays pauvres. Je suis la grenouille qui nage dans l’étang, mais aussi la couleuvre qui a besoin de se nourrir de grenouilles. Je suis la chenille et la fourmi, et aussi l’oiseau qui poursuit ces dernières pour les manger. Je suis la forêt abattue, la rivière et l’air pollués, mais aussi la personne qui abat les arbres et pollue la rivière et l’air. Je me vois dans toutes les espèces, et je vois toutes les espèces en moi.
(trois respirations)
Je suis ce grand être qui a transcendé la naissance et la mort, capable de regarder tous les phénomènes tels que la naissance, la mort, le bonheur et la souffrance avec un regard calme. Je suis cet ami sage présent partout dans le monde, rayonnant de paix, de compréhension et d’amour, capable de toucher les éléments nourrissants et guérisseurs des merveilles de la vie, et d’embrasser le monde entier avec le cœur aimant et les bras grands ouverts. Je suis cette personne ayant assez de paix, de joie et de liberté, capable d’offrir la non-peur et la joie de vivre à tout son entourage. Je ne me sens pas du tout seul et coupé des autres. Votre compassion et votre joie de vivre de grands êtres, présents dans cette vie, me soutiennent, m’aident à ne pas me noyer dans le désespoir et à vivre pleinement ma vie avec beaucoup de sens, avec de la paix et de la joie. Je me vois en chacun d’entre vous et je vous vois tous en moi.
(Trois respirations, un son de cloche et le pratiquant ou tout le groupe se lève.)
Troisième Toucher de la Terre
Touchant la Terre, j’abandonne toute idée sur ce corps que je crois être moi, et sur sa durée d’existence.
(Un son de cloche et le pratiquant ou tout le groupe touche la terre.)
Je prends conscience que ce corps fait des quatre éléments (terre, eau, air, feu) n’est pas vraiment moi. Je ne suis pas limité par ce corps. Je suis tout un courant de vie génétique et spirituelle qui depuis la nuit des temps se déverse dans le présent et continuera encore pendant des milliers d’années dans le futur. Je suis à la fois mes ancêtres et mes descendants. Je suis la vie qui se manifeste sous des milliers de formes. J’inter-suis avec toutes les personnes et toutes les espèces, qu’elles soient heureuses ou souffrantes, paisibles ou anxieuses. En ce moment, je suis présent partout sur cette planète, dans le passé aussi bien que dans le futur. La désintégration de ce corps ne pourra m’affecter, tout comme la chute des fleurs de pruniers ne pourra diminuer la présence du prunier. Je me vois comme une vague à la surface de l’océan dont la vraie nature est l’eau. Je me vois dans toutes les autres vagues et je vois toutes les autres vagues en moi. La manifestation ou la dissipation de la forme d’une vague ne peut diminuer la présence de l’océan. Mon corps du Dharma et ma vie de sagesse ne sont pas sujets à la naissance et à la mort. Je vois ma présence avant même la manifestation de ce corps et après sa décomposition. En cet instant précis, je me vois présent en dehors de ce corps. La durée de mon existence ne se limite pas à 80 ou 90 ans. Ma durée d’existence, tout comme la durée d’existence d’une feuille ou celle des bouddhas, est illimitée. Je suis libéré de l’idée d’être un corps séparé de toutes les autres manifestations de la vie, dans le temps comme dans l’espace.
(Trois respirations, trois sons de cloche et le pratiquant ou tout le groupe se lève.)