Extrait de « La Paix en soi, la paix en
marche »,
un ouvrage de Thich Nhat Hanh publié en 2006 chez Albin Michel.
Alors que la guerre faisait rage au Vietnam, voici comment Thầy a réagi à cette question d’un groupe de jeunes inquiets :
« Moi-même, je ne voyais aucun signe qui aurait pu annoncer la fin de la guerre. Je ne voulais pas sombrer dans l’océan du désespoir, ni voir ces jeunes y sombrer eux-mêmes. Le désespoir est la pire chose qui puisse nous arriver. Je suis resté silencieux un moment avant de leur répondre : « Chers amis, le Bouddha a dit que tout est impermanent. La guerre s’arrêtera un jour. La question est de savoir ce que nous pouvons faire pour accélérer l’impermanence. Il y a des choses à faire. Il est très important de trouver ce que nous pouvons faire chaque jour pour ne pas sombrer dans l’océan du désespoir ».
Extrait de « Ce monde est tout ce que nous avons » de Thich Nhat Hanh
Première partie : Éveil collectif
Chapitre 1
Les cloches de la Pleine
Les cloches de la Pleine Conscience sonnent,
nous appelant à nous éveiller et à regarder
profondément l’impact que nous avons
sur la planète.
Les cloches de la Pleine Conscience se sont mises à sonner. Tout autour de la Terre surviennent inondations, sécheresses et gigantesques incendies. Les glaces fondent dans l’Arctique, et des typhons, et des vagues de chaleur emportent des gens par milliers. Les forêts disparaissent à un rythme effréné, les déserts s’étendent et chaque jour des espèces s’éteignent. Néanmoins, ignorant l’appel des cloches de la Pleine Conscience, nous continuons à consommer de la même manière irréfléchie.
Tout le monde sait très bien que notre belle planète bleue est en danger. Notre façon de marcher sur la Terre influe profondément sur la vie animale et végétale. Pourtant, nous continuons à agir comme si notre manière de vivre n’avait aucun impact sur l’état du monde. Nous sommes comme des somnambules qui ne savent ni ce qu’ils font, ni où ils vont. Nous ne pourrons nous réveiller qu’en apprenant à marcher sur notre mère, la Terre, de façon consciente. L’avenir de toute vie, dont la nôtre, dépend de l’attention que nous porterons à nos pas. Écoutons les cloches de la pleine conscience qui sonnent tout autour de la planète ! Nous devons apprendre à vivre de façon à garantir l’avenir de nos enfants et nos petits-enfants.
Je me suis assis avec le Bouddha pendant de longues heures et je l’ai consulté sur le réchauffement du climat terrestre. L’enseignement du Bouddha sur ce point est très clair. Si nous continuons à vivre comme nous l’avons fait jusqu’à présent, à consommer sans une pensée pour l’avenir, à détruire les forêts et à émettre de dangereuses quantités de gaz carbonique, il est inévitable qu’un changement climatique drastique se produise. Nos écosystèmes seront détruits dans une large mesure. Le niveau des mers s’élèvera et les villes côtières seront inondées, obligeant des centaines de milliers de gens à fuir leurs maisons, entraînant des guerres et des épidémies.
Nous avons besoin d’un éveil collectif. Il y a parmi nous des hommes et des femmes qui se sont déjà éveillés, mais ils ne sont pas suffisamment nombreux, la majorité d’entre nous dort encore. Nous avons construit un système que nous ne pouvons pas contrôler. C’est lui qui nous dirige et nous sommes devenus ses esclaves et ses victimes. Si, comme beaucoup, nous rêvons d’avoir une grande maison, une grosse voiture, une piscine, un bateau, etc. nous devons passer nos jours à travailler pour nous les offrir. Nous sommes tous constamment pressés par le temps. Naguère, il était possible de s’accorder trois heures pour boire une tasse de thé entre amis, en savourant le plaisir d’être ensemble, dans une atmosphère sereine, ou bien encore d’inviter les amis pour fêter les nouvelles récoltes du jardin. Mais nous ne pouvons plus savourer ces plaisirs. Pour nous, le temps, c’est de l’argent. Nous avons créé une société dans laquelle les riches deviennent toujours plus riches et les pauvres, plus pauvres. Nous sommes tellement pris par nos propres problèmes que nous n’avons plus le temps de prendre soin de ce qui se passe dans le reste de la famille humaine ou sur notre planète Terre. Ma vision de cette situation est celle d’un groupe de poulets en cage, se chamaillant pour quelques grains de blé, inconscients du fait que, dans quelques heures, ils vont tous être tués.
Les populations de Chine, d’Inde, du Vietnam et des autres pays émergents ont encore pour idéal « le rêve américain », comme si ce rêve était le but ultime de l’humanité: avoir chacun sa voiture, son compte en banque, son téléphone portable, sa télévision. Dans vingt-cinq ans, la population chinoise atteindra un milliard et demi d’individus, et si chacun d’eux veut conduire sa propre voiture, il faudra que la Chine trouve 99 millions de barils d’essence chaque jour. Le rêve américain n’est donc pas pensable pour la Chine, L’Inde ou le Vietnam. Il n’est même plus possible pour les Américains eux-mêmes. Nous ne pouvons plus nous permettre de continuer à vivre ainsi. Ce système de développement économique n’est pas soutenable.
Il nous faut changer ce rêve pour un idéal de camaraderie et de fraternité, d’amour bienveillant et de compassion. Ce rêve-là est possible tout de suite, ici-même. Nous avons le Dharma et les moyens techniques nécessaires, et nous avons suffisamment de sagesse pour le réaliser. La Pleine Conscience est au cœur de l’éveil, au cœur de la réalisation. Nous pratiquons la respiration consciente pour être présents à tout ce qui se passe à chaque instant, à la fois en nous-mêmes et à l’extérieur de nous. Si ce qui s’élève en nous est du désespoir, il nous faut le reconnaître et agir immédiatement. Il se peut que nous refusions de regarder en face cette formation mentale, mais elle est là, et si nous voulons la transformer, il nous faut l’accueillir.
Ne tombons pas dans le désespoir à cause du réchauffement général : nous pouvons agir. Bien sûr, se contenter de signer une pétition et ne plus se soucier de rien ne servira pas à grand-chose. Il y a des actions urgentes à engager, à la fois sur le plan individuel et sur le plan collectif. Tous, nous désirons ardemment vivre en paix et dans un environnement en équilibre. Ce que la majorité d’entre nous n’a pas encore trouvé, ce sont les moyens concrets de traduire, dans leur réalité quotidienne, ce rêve d’une vie soutenable pour l’environnement. En effet, nous ne nous sommes pas organisés. Nous ne pouvons continuer à rendre responsables nos gouvernements et nos industriels de la pollution des eaux par les produits chimiques, de la violence de nos voisins ou des guerres si meurtrières. Dans beaucoup de secteurs, nous assistons à la violence, à la corruption et à la destruction. Nous savons bien que les législations en place sont insuffisantes pour empêcher la superstition, la cruauté et les abus de pouvoir dont nous sommes témoins quotidiennement. Il est temps que chacun de nous s’éveille et se décide à agir. Seules la foi et la détermination peuvent nous empêcher de sombrer dans un profond désespoir.
Le bouddhisme représente la forme la plus puissante de l’humanisme. Il nous enseigne à être responsables et à agir avec amour. Chaque pratiquant bouddhiste devrait être un protecteur de l’environnement. Nous avons le pouvoir de décider du destin de notre planète. Si chacun prend pleinement conscience de la véritable situation, il se produira un changement dans la conscience collective. Faisons quelque chose pour éveiller le monde. Aidons le Bouddha à réveiller les êtres humains qui vivent en plein rêve.
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