Les cinq domaines de la paix
Nous avons notre propre territoire de paix en nous, qui est composé de cinq mondes ou domaines – notre corps, nos sensations, nos perceptions, nos formations mentales et notre conscience. Notre corps a besoin que nous lui apportions de la paix, il a besoin d’être libéré de ses conflits, de ses tensions et de ses douleurs. Le monde des émotions comporte aussi beaucoup d’orages, d’afflictions et de douleur. Nous devons apprendre à apporter de la paix dans le territoire de nos sensations et de nos émotions.
Quand je regarde mon stylo, j’en ai une perception. La vraie question, c’est de savoir si ma perception correspond à la réalité du stylo ou non, sachant que nous avons beaucoup trop de perceptions erronées. Nous pensons être les seuls à souffrir, nous pensons que les autres nous font souffrir et qu’ils ne souffrent pas du tout, eux. C’est un exemple de perception erronée. Si nous prenons le temps d’inspirer et d’expirer en étant en paix avec nous-mêmes, nous verrons que les autres souffrent beaucoup eux aussi et qu’ils ont besoin d’être aidés et non punis. C’est pourquoi la paix ne sera pas possible tant que nous ne nous serons pas débarrassés des éléments de perception erronée. Nos perceptions qui naissent de la colère et de la peur ne peuvent être qualifiées de perceptions justes. Ces perceptions erronées font ensuite naître la peur, la colère et le désespoir, ce qui peut nous pousser à commettre des actes de violence, de vengeance et de meurtre. D’où l’importance de pratiquer la méditation assise et marchée, afin d’apporter de la paix dans le domaine de nos perceptions et de nous déprendre des vues erronées.
Le quatrième domaine est celui des formations mentales, cittasamskara. Une formation mentale (samskara) est quelque chose qui se manifeste dès lors que les conditions sont réunies. Une fleur est une formation mentale – la pluie, le soleil, la terre, le temps, l’espace contribuent à la manifestation de la fleur. Notre corps est une formation physiologique. Toutes les formations sont impermanentes : elles ne cessent de changer. Notre peur, notre colère, notre discrimination, notre espoir, notre joie et notre pleine conscience sont autant de formations mentales. Dans la tradition bouddhique, cinquante et une formations mentales ont été identifiées. Lorsque nous observons notre esprit, nous ne regardons pas un espace clair et vide, mais nos formations mentales.
Il y a pour finir le domaine de la conscience. Nous devons revenir dans notre conscience, car la conscience est l’essence de tout. Notre corps, nos sensations, nos perceptions et nos formations mentales naissent de l’essence de la conscience. Non seulement notre corps contient notre conscience, mais notre conscience contient notre corps.
Je suis solide, je suis libre
Que veut dire être solide ? Cela veut dire demeurer dans l’instant présent. Nous avons tendance à nous tourner vers le passé. Nous éprouvons des regrets, nous nous sentons coupables et nous nous perdons dans ces ruminations. Nous ne sommes pas solides parce que nous sommes victimes du passé. Nous ne sommes pas capables de vivre dans l’instant présent parce que le passé est devenu un fantôme qui nous pousse à y retourner. Certaines personnes ne pensent qu’au passé et sont incapables d’apprécier pleinement la vie dans l’instant présent; elles ne sont pas libres, pas solides.
D’autres sont perdues dans les soucis, la peur, les incertitudes quant à l’avenir. Ces soucis et ces peurs ne nous permettent pas d’être dans l’instant présent et de toucher la vie. Quand nous disons « Je suis chez moi, je suis arrivé », « Il n’y a qu’ici et maintenant », nous devenons solides. Être solide n’est pas un souhait. Si vous vous sentez bien chez vous, vous devenez solide naturellement. C’est reconnaître que vous êtes ici et maintenant, chez vous. Ce n’est plus un espoir, mais une réalité, un fait. Vous savez si vous êtes solide ou non. Vous êtes solide quand vous êtes établi dans l’ici et maintenant. Vous ne pouvez plus être sous l’emprise du passé ou du futur. D’où les paroles « Je suis solide, je suis libre».
Libre de quoi? Libre du passé, de mes soucis, de mes perceptions. La solidité et la liberté ne sont donc pas deux choses distinctes. Quand vous êtes solide, vous êtes libre; quand vous êtes libre, vous êtes solide. C’est comme ici et maintenant. La solidité et la liberté sont le fondement de la paix et du bonheur. Chaque pas fait en pleine conscience nous aide à cultiver plus de solidité et de liberté. Soyez vous-même, soyez libre, soyez établi ici et maintenant. Touchez la vie en profondeur et recevez la nourriture et la paix dont vous avez tant besoin.
La vague demeure désormais dans l’eau. Vous demeurez dans l’ultime, dans Allah, dans Dieu, dans votre bouddhéité. C’est reconnaître que vous touchez l’ultime dans l’ici et maintenant. Ce n’est pas une question de temps. L’ultime est là, ici et maintenant ; tout comme l’eau est là pour la vague. L’ultime est votre essence. En marchant et en respirant de la sorte, vous êtes toujours en contact avec Dieu – non pas en tant que notion ou idée, mais en tant que réalité. Vous pouvez toucher Dieu en touchant une fleur, en touchant l’air, en touchant une personne. En dehors de tout cela, il n’y a pas de Dieu. Si vous retirez toutes les vagues, il n’y a plus d’eau. Toucher les merveilles de la vie en vous et autour de vous signifie toucher l’ultime.
Extrait du livre « La paix en soi, la paix en marche »
Thich Nhat Hanh